Des nouveaux frères Isola

frères isola jeunes
Photographie des frères Isola par Nadar – Collection Thibault Ternon

Tout le monde – ou presque – connait les frères Isola, ces fameux prestidigitateurs qui ont été les directeurs d’une multitude de salles de spectacle en France pendant leur temps de gloire. Cependant, si leur vie est généralement assez connue, leur enfance, elle, l’est moins. En effet, il semble que la majorité des archives leur ayant appartenu ont été détruites lorsqu’ils habitaient encore en Algérie, leur pays natal.

Aussi, la découverte de cette nouvelle photographie d’eux permet de les voir pour la première fois sous un jour nouveau.

Cette photographie de cabinet, de largeur 13 cm pour 21.5 cm de longueur, a été réalisée par le célèbre photographe Nadar. Cependant, cette photographie est un retirage. En effet au dos de celle-ci on apprend que Nadar possède le Grand-Prix de Paris de 1889. La carton est donc postérieur à 1889, mais la photographie en elle-même est bien antérieure à cette date.

Au niveau de l’âge que pouvaient avoir les frères Isola sur la photo, on peut estimer cela à une dizaine d’années, leur mère étant décédée en 1873 et Émile et Vincent étant respectivement nés en 1860 et 1862. La photographie fut donc très probablement prise dans les années 1870.

Ce retirage, très certainement commandé par la famille Isola, permet ainsi de les connaître sous un nouveau jour et de retracer petit à petit leur histoire.


Si vous souhaitez en savoir davantage sur les frères Isola, je ne peux que vous conseiller d’aller visiter le site internet tenu par un descendant direct de ces deux artistes et sur lequel vous trouverez quantité de documents: http://claude.loubet.free.fr

Le fameux Romain

Le fameux Romain
Le fameux Romain – Source: gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

Connu par une gravure

Connu sous le pseudonyme du « Fameux Romain », cet escamoteur fut le sujet – en 1770 – d’une superbe gravure réalisée par Prévost qui le représente en train de réaliser diverses expériences dessinées en miniatures autour d’une plus importante. Très certainement due à une commande de la part du physicien lui-même, cette gravure représente Le Fameux Romain en train de réaliser le tour des gobelets d’une manière peu courante. D’après l’estampe en question, ces derniers font « deux pieds de haut sur un et demi de diamètre »1. La muscade est alors également du même ordre de grandeur que l’on peut estimer à environ 20 cm de diamètre grâce à la gravure, ce qui correspond à la taille réelle du « boulet de 48 » utilisé (comprendre un boulet de 48 livres, qui avait pour diamètre 18.6 cm). En cela, nous pouvons en conclure que l’échelle semble être très bien respectée. En plus de se démarquer de par la taille inhabituelle des gobelets utilisés, il en tire profit en faisant « paraître et disparaître un enfant plus grand que les dits gobelets » et en escamotant une « bête à 4 pattes ». Les deux flambeaux placés sous la table où se déroulent tous ces mystères semblent être là pour empêcher les spectateurs de trouver l’explication de ces merveilleux tours.

Le détail complet des vingt miniatures présentées tout autour de la scène principale serait inutile ici, les titres parlant souvent d’eux-mêmes, mais il est intéressant de remarquer que de nombreux tours sont encore présentés tels quels comme – sur le premier registre – faire sortir du feu de sa main, l’ancêtre de la carte au plafond, le ruban raccommodé (à droite), etc; ce qui nous permet d’en savoir plus sur le programme complet des expériences que présentait le Fameux Romain.

On retrouve également cette gravure -légèrement modifiée- comme frontispice du recueil Le Jeu des gobelets rendu sensible écrit par Préjean en 1793.

Une personnalité presque démasquée

Si l’identité de l’escamoteur continue d’être un mystère jusqu’à présent, des éléments nouveaux nous permettent d’avancer des hypothèses (à prendre avec les précautions nécessaires!) sur sa véritable personnalité.

En effet, il est intéressant de noter que la Bibliothèque nationale de France possède dans ses réserves le catalogue d’une exposition qu’elle a elle-même organisée en 1966 sur Beaumarchais. Le plus étonnant est de retrouver dans ce dernier la mention de l’estampe que nous étudions avec pour description :

« […] On prétendit [que Beaumarchais] aurait gagné sa vie en faisant des tours de gobelets, c’est-à-dire d’escamoteur »2.

Si l’intérêt était seulement de trouver une gravure représentant un escamoteur, pourquoi la BnF aurait choisi cette gravure en particulier lors d’une exposition sur Beaumarchais? Cela est d’autant plus étonnant lorsque l’on remarque que tous les autres documents présentés dans le catalogue d’exposition sont liés de près ou de loin à Beaumarchais ou à sa famille.

Cependant, il peut s’agir là tout simplement du souhait de vouloir illustrer les exercices de Beaumarchais avec une gravure qui lui est contemporaine sans pour autant qu’elle ne le représente forcément!

Une deuxième référence à cette gravure est à noter en 1887, qui figure dans Le vieux Paris. Celui-ci nous indique – d’une manière un peu maladroite – ceci :

« Ledru-Comus avait pour voisin sur le boulevard le physicien Noël, bien inférieur à lui, et qui n’était guère fréquenté  que par les valets de ses spectateurs habituels. Le fameux Romain, comme l’appelait une estampe populaire, escamotait un enfant, un boulet de 48, une bête à quatre pattes.3 ».

S’il ne fait aucun doute que l’auteur fait bien référence à la gravure en question, la phrase est toutefois légèrement ambiguë, puisque l’on peut la comprendre de deux façons différentes : Soit « Le fameux Romain » désigne bien le sieur Noël, soit l’auteur a juste souhaité faire une petite énumération des physiciens de l’époque.

Quoi qu’il en soit, et même si ces éléments ne nous permettent pas encore de trancher de manière définitive sur l’identité du physicien représenté, ces nouveaux détails auront certainement permis à quelques personnes de (re)découvrir ce qui est sans doute l’une des plus belle et intéressante gravure de magie du XVIIIe siècle et des suivants!

 


1 Cela correspond à 61 cm de hauteur pour 30 cm de largeur.

2 Angrémy Annie et Barbin Madeleine, « 15. « Le Fameux Romain. Nouveaux tours et façons de jouer des goblets… » Gravure de Prévost, 1770 – B.N., Est., Coll. Hennin, 9366. », in Beaumarchais [exposition, Paris, Bibliothèque nationale, 28 octobre 1966-8 janvier 1967], Paris, Bibliothèque Nationale de France, 1966, p. 4.

3 Fournel Victor, « Escamoteurs et devins », in Le vieux Paris, Tours, Alfred Mame et fils, 1887, p. 261.

Jacques de Falaise: Le polyphage

« Jacques de Falaise, que tout Paris a été à même de voir, avalait des anguilles, des oiseaux, des souris vivantes; une pipe, des noix, une montre; et même introduisant dans son estomac, une lame de sabre de dix-huit pouces de longueur 1« 

Aux heures de gloire du théâtre Comte situé rue de Grenelle-Saint-Honoré à Paris (correspondant de nos jours à la partie sud de la rue Jean-Jacques Rousseau) un artiste au talent particulier se fit connaître.

Son nom: Jacques Simon alias Le polyphage (littéralement : celui qui mange tout). Il serait né en 1754 à Falaise (Calvados), ce qui expliquerait le fait qu’il se faisait également appeler Jacques de Falaise.

Jacques de Falaise portrait
Jacques de Falaise et ses animaux de compagnie..! Gravure extraite de Notice sur Jacques de Falaise Source: gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Comme nous l’indique une notice biographique publiée de son vivant (en 1820), Jacques Simon aurait d’abord travaillé comme ouvrier dans les carrières de la ville de Montmartre avant de découvrir à l’âge tardif de 60 ans2, son talent qui se traduit par la possibilité d’avaler tous les objets qui lui sont donnés. Il s’aperçoit de ce « don de la nature » par hasard, en cachant le médaillon d’une amie qui se mariait, et qui jouait ainsi à le retrouver. Pour que cette amie ne retrouve pas si aisément le précieux bijou, Jacques Simon choisit de l’avaler, sans ressentir après coup la moindre gêne due à cet acte2. Il retenta par la suite l’expérience avec d’innombrable objets dont la liste complète serait difficile à établir.

 

C’est ainsi qu’il se lança dans une carrière artistique et se présentait en train d’avaler une pipe, une épée de 50 centimètres avant de la ressortir, des clefs, des bagues, ou encore une rose couverte d’épines. Puis, comme pour faire évoluer son numéro, il se mit à avaler quantité d’animaux vivants à l’instar d’anguilles, d’écrevisses ou de souris. Il acquit rapidement une certaine notoriété et fut engagé par Louis Comte dans son théâtre comme nous l’évoquions, au moins par deux fois en 1816 et en 1820. Il côtoya également certains grands prestidigitateurs de l’époque comme ce fut le cas à Nantes en 1827 où il se présentait aux côtés de Jules de Rovère3.

Jacques de Falaise gravure le polyphage
Un aperçu des objets avalés par le Polyphage – Le Bon Genre n°95 – Collection Thibault Ternon

Mais ses performances aussi extraordinaires fussent-elles ne furent pas sans conséquences, et il dut passer deux séjours à l’hôpital. Les médecins l’incitèrent et réussirent à le convaincre de se reconvertir et à ainsi de stopper ses dangereuses activités artistiques. Il fut alors engagé à l’hôpital de Beaujon où il mettra fin à ses jours le 30 mars 1825, l’ayant retrouvé pendu dans l’un des couloirs.

Le docteur J. P. Beaudé procéda à l’autopsie du corps de l’ancien artiste pour étudier le phénomène qu’était Jacques de Falaise et en fit un Mémoire sur un cas de Polyphagie, suivi de considérations médico-légales sur la mort par suspension. Un court résumé de cet examen médical figure dans le tome 3 de la Revue médicale française et étrangère4. Une courte notice biographique de quelques pages, dans laquelle son portrait est reproduit, parut sous le titre de Notice sur Jacques de Falaise, ses habitudes, sa nourriture et les moyens qu’il emploie pour conserver sa santé5

 


Chaponnier, « Chapitre VIII: De la digestion », in La physiologie des gens du monde, pour servir de complément à l’éducation, Paris, F. Didot frères, 1829, p. 144.

2 in Notice sur Jacques de Falaise, ses habitudes, sa nourriture et les moyens qu’il emploie pour conserver sa santé, Paris, Impr. de Ballard, 1820, p. 1.

« Spectacle de M. Jules Rovère », L’Ami de la Charte, 19 mars 1827, vol. 9, no 1397, p. 4.

4 « V° Notices bibliographiques », in Revue médicale française et étrangère et journal de clinique de l’Hôtel-Dieu et de la charité de Paris, Paris, Gabon et compagnie, 1826, vol.3.

5 Notice sur Jacques de Falaise, ses habitudes, sa nourriture et les moyens qu’il emploie pour conserver sa santé, Paris, Impr. de Ballard, 1820, 20 p.